D’après la thèse professionnelle :
Un chevalier blanc rappelle à nous tous, dans nos civilisations occidentales, les contes de notre enfance où la princesse fut délivrée de sa prison ou d’un destin funeste par un valeureux chevalier. Qu’il soit blanc ou pas, il est toujours beau, et évidemment le chevalier et la princesse s’aimèrent, se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours…
Tous les enfants se construisent sur cet imaginaire fabuleux, en s’identifiant soit au valeureux chevalier, défenseur de la veuve et de l’orphelin, plein de vertus, empreint de courage, de loyauté et de générosité, soit à la princesse, courageuse elle aussi de choisir la patience et l’abnégation, préférant toujours la souffrance au sacrifice de ses valeurs. Consciemment ou non, celui qui conte ces histoires aux enfants les incite à adopter un comportement noble et courageux, plutôt qu‘à céder bestialement à la tentation de l’immédiate satisfaction de leurs désirs. Le conteur transporte ainsi les enfants dans un rêve, où ils s’identifient au héros ou à l’héroïne de l’histoire, en espérant un jour atteindre la félicité d’une vie heureuse et pleine d’amour, ce que certes le méchant de l’histoire n’aura jamais.
Ensuite les enfants grandissent et les vertus des contes de notre enfance, que nous appelons aujourd’hui la morale ou l’éthique, nous les adoptons, plus ou moins, par notre éducation, nos choix de vie, par notre courage, notre lâcheté parfois, notre hiérarchie des valeurs, nos contraintes, notre ignorance, et souvent nos habitudes.
Afin de pouvoir clarifier notre discours à destination des parties prenantes, il est indispensable que nous analysions le vocable d’«éthique», ainsi que les implications sémantiques, et peut-être aussi philosophiques, psychologiques et humaines. Ainsi, nous espérons présenter ici précisément ce qu’est notre vision de l’éthique, ce qu’elle contient, ce qu’elle ne contient pas, et vous assurer qu’elle correspond bien à l’âme de notre entreprise, et à ses actions.
L’Éthique est selon la définition du Larousse l’Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un[1]. Les notions d’éthique et de morale sont pour l’universitaire québécois Daniel Weinstock[2] tout simplement égales. Nous notons d’emblée une différence d’usage. Le terme « morale » est plutôt utilisé en référence à la conduite attendue par la société dans son ensemble ou par une religion, alors que le terme « éthique » qualifie le plus souvent le caractère d’un individu, un ensemble de règles professionnelles ou de démarche d’entreprise.
Pour Bergson la morale est source d’obligations, que ce soit pour des raisons sociales, philosophiques, amoureuses, ou de respect :
Une force de direction constante, qui est à l'âme ce que la pesanteur est au corps, assure la cohésion du groupe en inclinant dans un même sens les volontés individuelles. Telle est l'obligation morale.[3]
En effet, le mot « morale » sous-tend la possibilité pour ladite morale d’être un instrument de pression d’une société sur un individu, puisque existent les mots « moralisateur », « moraliser », et l’expression « faire la morale ». Il n’existe à notre connaissance pas de termes ou expression équivalents tels que « éthicisateur » , « éthiciser » ou « faire l’éthique ». Il existe certes la profession d’«éthicien» dont se revendique Daniel Weinstock, mais s’il s’agit d’une profession de formateur en entreprise (ou institution), dont le but est d’accompagner la définition de règles éthiques dans une entreprise et d’en organiser l’instauration. Ces règles restent cependant décidées par l’entreprise et non par l’éthicien. L’attitude de l’éthicien n’est donc pas celle du parent ou de l’instituteur qui «fait la morale» à un enfant et qui exerce une pression psychologique et sociale. Néanmoins dans les deux attitudes, il y a un acte de pédagogie et de questionnement sur les comportements à suivre.
[1] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/éthique/
[2] WEINSTOCK (Daniel M). - « Profession éthicien ». - Nouvelle édition [en ligne]. - Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2006 - ISBN : 9782821850569. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pum.112.
[3] Bergson. - Les deux sources de la morale et de la religion. - Flammarion. - janvier 2012. – 446p- page 163
Pour Daniel Weinstock l’« éthique » n’a véritablement de sens qu’au sein d’institutions :
Elle vise à mettre en place dans des institutions des ensembles de règles favorisant les motivations moralement avouables et tendant à neutraliser les autres[4].
Pour Aristote, au contraire, l’«éthique » se rapporte au caractère (èthos) d’un individu, elle trouve son origine dans une disposition de l’âme :
Elles [Les activités éthiques] appartiennent à la partie irrationnelles qui néanmoins, par nature, se laisse diriger par la partie rationnelle : de fait, nous ne parlons pas de la qualité éthique de quelqu’un en disant qu’il est sage ou habile mais en disant qu’il est doux ou audacieux. […] Elle [ L’excellence éthique] naît des meilleurs mouvement de l’âme et produit les meilleures actions[5].
Bien qu’elles diffèrent sur l’objet de ce sur quoi s’applique la notion d’éthique, ces deux définitions s’accordent sur deux points importants. Premièrement, il y a une dualité dans la notion d’éthique : elle est à la fois irrationnelle dans sa source, et par conséquent subjective, et rationnelle dans sa mise en application. Le projet est irrationnel, c’est le cap à suivre et son exécution est rationnelle. Deuxièmement, l’éthique a pour finalité une action bonne, susceptible de louanges selon Aristote. Nous en tirons une condition essentielle au caractère éthique : l’existence d’une action. Un individu n’est donc pas éthique simplement par nature, mais son caractère éthique ne peut perçu qu’en raison la manifestation de ce caractère au travers de ses actions.
[4] WEINSTOCK (Daniel M). - « Profession éthicien ».
[5] Aristote. - Ethique à Eudème. - Traduction et présentation par Catherine Dalimier. - Flammarion. - mars 2013. - 349p - pages 87-89
Aristote va plus loin dans la nature de l’action : l’action doit être volontaire, émaner de l’individu lui-même, et résulter de sa décision :
[…] l’excellence [éthique] et le vice ne s’appliquent qu’aux actions dont quelqu’un est soit même cause et principe[6]. Or, nous sommes tous d’accord pour reconnaitre que chacun est cause de toutes ses actions volontaires et conformes à son choix,[…]. D’autre part, tout ce que l’on a choisi de faire, il est clair qu’on le fait de son plein gré. Il est clair dès lors que l’excellence [éthique] comme le vice ne saurait appartenir qu’à des actes accomplis de plein gré[7].
Avec cette nécessité de liberté de choix dans la définition de l’éthique, il existe, si l’on suit le raisonnement d’Aristote, une incompatibilité par nature entre l’éthique et toute forme d’obligation.
Soyons plus précis encore, le caractère éthique d’une action nécessite aussi que l’individu lui-même, ou pour le moins son caractère, soit la source (principe) de l’action et par conséquent une des causes de l’action. Dans la pratique, la décision d’agir tient obligatoirement compte du contexte et des contraintes plus moins fortes qui s’exercent sur l’individu. Il peut dès lors y avoir ambigüité sur la cause d’une action lorsque l’action va dans le sens d’une contrainte subie par l’individu : est-ce par soumission à une contrainte que l’action a eu lieu, ou par le caractère de l’individu?
La catégorisation en caractère éthique d’une action n’est donc pas toujours aisée à faire, et vu de l’extérieur le doute peut s’installer. Par exemple, Philip Morris développe-t-elle les systèmes de tabac chauffé en raison de sa préoccupation de la santé des consommateurs, ou bien en raison de la contrainte identifiée qu’est l’évolution du marché ? Lorsque c’est la contrainte et donc l’obligation qui commande l’action, on ne peut plus parler d’éthique.
Parler de « loi bioéthique » devient alors un oxymore, idem pour les chartes éthiques que doivent respecter les salariés d’une entreprise, pourvu que l’on prenne l’angle de vue des salariés. Il en va de même pour tous les codes de déontologie professionnels, celui des médecins, des avocats, des experts-comptables, des géomètres-experts etc… L’acceptation de ces codes de déontologies professionnels revêt un caractère obligatoire pour être autorisé à exercer, ce n’est donc pas de l’éthique au sens d’Aristote.
Voilà donc déjà un énorme pan de la construction éthique au sens commun et moderne qui s’est écroulé. Il peut bien très y avoir une démarche éthique pour le législateur ou un comité entreprise à entreprendre librement l’élaboration d’une loi bioéthique ou d’une charte éthique, car l’ «action bonne» qu’est cette élaboration est «susceptibles de louanges» et accomplie de plein gré. Cependant, les exécutants des actions soumis à cette loi ou cette charte éthique imposée ont un comportement anéthique, car ces individus s’exécutent par obligation, et ne sont ni cause ni principe de leurs actions.
[6] En philosophie, un principe est une source, un fondement.
[7] Aristote. - Ethique à Eudème. Page 109.
Aristote explique aussi que l’éthique est un juste milieu entre deux extrêmes :
Dans tous les domaines ce qui est moyen est le meilleur pour nous : c’est en effet ce que la science et la raison ordonnent. […] les contraires sont à la fois contraires entre eux, et contraires au terme intermédiaire.[…] l’excellence éthique est nécessairement liée à certaines moyennes, c’est-à-dire qu’elle est une certaine médiété[8].
Le juste équilibre entre la témérité et la lâcheté, c’est le courage, entre la flatterie et la malveillance, c’est l’amitié, entre la vantardise et la fausse modestie, c’est la sincérité etc…
Dans le langage de Weinstock, l’éthique est aussi un juste milieu entre deux orientations extrêmes. La première orientation est fondée sur des valeurs c’est le déontologisme, telle une religion, une autorité morale catégorique, qui parfois tend à l’extrémisme, cette orientation comporte toute l’irrationalité dont parle Aristote. L’autre orientation est le conséquentialisme, qui est purement rationnel et ne vise qu’à maximiser les bienfaits causés par nos actions. Ainsi,en suivant aveuglément le conséquentialisme pour lequel «tous les moyens sont bons», on arrive rapidement à des aberrations morales, et l’on pourrait décider de tuer une personne en bonne santé afin de prélever ses organes dans le but de sauver d’une mort certaines cinq autres personnes malades.
[8] Aristote. - Ethique à Eudème. p93
Nous avons vu que l’éthique implique un choix, un libre arbitre. En conséquence, ce choix est subjectif :
Puisque l’excellence [éthique] est […] une sorte de médiété qui relève du plaisir et des peines[…] , l’excellence éthique est un état permettant de choisir une médiété qui nous est relative, parmi les choses plaisantes ou pénibles qui nous font dire de quelqu’un qu’il a un tel caractère selon qu’il en est heureux ou chagrin[9].
Dans la vie courante, les positions de chacun sur grandes questions sociétales telles que la peine de mort, l’avortement, l’euthanasie souvent bien tranchées, selon la médiété choisie. Cette subjectivité qui détermine le «positionnement du curseur», est présente dans la plupart des grandes questions politiques, comme la visibilité publique des religions dans notre société laïque, l’accueil des étrangers, les droits des minorités sexuelles, ou des enfants à naître etc… Les choix éthiques sont donc intrinsèquement dépendants du référentiel de l’individu.
Ainsi, un trafiquant de cocaïne, qui s’interdit de couper sa drogue plus que promis, est éthique dans son référentiel, car il applique des règles qu’il s’est lui-même fixées, il les adopte de manière volontaire, et il considère très certainement agir de manière bien plus honnête et bonne que certains de ses « confrères » moins scrupuleux. Mais si l’on change de référentiel et que l’on se place dans le référentiel moral de Monsieur Tout le Monde, notre trafiquant a une activité absolument immorale, c’est un marchand de mort, et il n’y a pas lieu d’y trouver une quelconque éthique, parce que l’on n’y voit aucune action « bonne ». Nous expérimentons ainsi que, par cette simple expérience de pensée, l’éthique est éminemment subjective.
[9] Aristote. - Ethique à Eudème. p139
Pour conclure, l’éthique que Chevalier Blanc demande aux avocats partenaires, se rapproche de l’éthique au sens de l’éthique d’Aristote, car elle doit être acceptée intimement et librement. Chevalier Blanc n’est pas un ordre professionnel et n’a pas vocation à en devenir un. Aucun avocat ne sera jamais contraint d’adhérer au partenariat. Cependant, le partenariat n’est pas intime et personnel, il doit conduire vers une sorte de fédération d’avocats qui partagent et mettent en application une vision commune de l’intérêt prioritaire du justiciable. Cette fédération pourrait, nous l’espérons, avoir pour fer de lance la Charte Chevalier Blanc, valoriser les avocats partenaires et rassurer les justiciables.